Halte aux naïvetés « consomm’actrices » ! La « consommac’tion » et le « life style activism » sont à la fois inutiles et nécessaires – il faut le faire, même si ça ne change rien ou presque. Nous ne ferons pas l’économie d’une révolution – ou d’un effondrement.

Dans le meilleur des mondes possibles, une (r)évolution de la consommation (éthique, citoyenne, écologique, bio, etc.) devrait entraîner une (ré)volution parallèle de la production. Bref, écocitoyens, c’est sur vos seules épaules que repose la transformation du capitalisme mondialisé en un vertueux marché, éthique et écologique…

Mais dans la réalité, il n’en va pas ainsi, car dans le monde réel, c’est le mode de production qui détermine le mode de consommation et le mode de vie. Ce sont les structures lourdes de la production qui conditionnent l’organisation de la distribution et les tendances profondes de la consommation, cette dernière n’effectuant que des rétroactions marginales sur la première (favorisant tel ou tel produit, permettant par exemple le développement de telle ou telle niche de production et de commercialisation éthique ou écologique, etc., mais ne remettant pas du tout en cause l’ensemble du système productif…).

Outre l’hypocrisie consistant à faire reporter sur les populations la responsabilité (et la culpabilité) du système économique actuel écologiquement et sociologiquement insoutenable, la « consomm’action » participe pleinement de l’imaginaire consumériste marchand dont elle ressort en dernière analyse. On est en plein dans le mythe du marché, on participe naïvement au fantasme de la main invisible, à la croyance au jeu magique de l’offre et de la demande, dans lequel bien sûr la demande détermine et transforme l’offre dans la pure transparence de la libre concurrence…

Comme l’a souligné récemment Mark Hunyadi, pour l’essentiel, nos modes de vie nous sont structurellement imposés en amont – malgré les quelques aménagements secondaires, partiels et superficiels que nous pouvons leur apporter en aval[1].

Bien sûr, la « consomm’action » est nécessaire, ne serait-ce que pour vivre en cohérence avec nos valeurs, pour vivre personnellement, concrètement et directement la « conversion écologique » et l’appel à changer nos styles de vie auxquels nous exhortent les papes depuis plusieurs décennies – mais elle est insuffisante.

Ne soyons pas naïf, le « life style activism » (activisme par le style de vie), même s’il change effectivement nos vies – et c’est déjà énorme – ne changera pas le monde. De même qu’il n’a pas libéré l’Inde. De même que ce n’est pas la style de vie prôné et vécu par Gandhi mais l’activisme politique anticolonialiste et nationaliste dont Gandhi n’était qu’un des leaders qui a libéré l’Inde de la tutelle britannique alors que le système impérial était en crise, ce ne sera pas le « life style activism » qui libèrera tout ou partie du monde de l’exploitation économique et de l’oppression politique, mais l’activisme politique anticapitaliste et écologiste alors que le système mondial est en crise.

Pour sortir de la dévoration des sociétés et des écosystèmes par l’économie de marché mondialisée, nous ne ferons pas l’économie d’une véritable révolution économique et écologique de nos systèmes de production (et, partant, de distribution et de consommation) qui ne peut elle-même être mise en œuvre que par une révolution politique.

La « consomm’action » est un engagement indispensable mais elle n’est pas la solution – elle est une action à la fois nécessaire et limitée – presque dérisoire. Il est nécessaire, non seulement de vivre avec ses convictions, mais en cohérence pratique avec les principes éthiques et écologiques, et de faire vivre ainsi autant que possible, même de manière marginale, l’agriculture biologique, l’économie écologique, la production locale, l’artisanat, etc., et il ne faut certes pas attendre le Grand Soir de la Révolution écosocialiste pour s’y mettre. La révolution écologique commenceici et maintenant, dans chacun de nos gestes, dans chacune de nos vies, mais elle ne finit pas là, cela ne suffit pas. Ne nous faisons pas d’illusions : nous ne changerons pas le monde depuis notre chambre. Il faudra bien, a minima, descendre dans la rue, voire reprendre les armes de la critique – et aussi, pour beaucoup d’entre nous, retourner à la terre, revivre à la campagne.

 

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