Les enfants du Marais, roman écrit en 1958 par Georges Montforez est l’histoire de deux hommes Garris et Riton vivant dans la campagne de Riorges, petite ville de la Loire. Cet ouvrage est la description banale d’une fin de vie : celle d’un espace naturel en danger et de ces derniers habitants. Abandonné par sa jeunesse, ce marais est le théâtre d’un combat perdu de ses deux derniers « grognards » contre sa bétonisation. A travers Les enfants du Marais, adapté en film en 1999 par Jean Becker, l’auteur sous l’aspect joyeux et attachant des protagonistes lance un cri d’alarme. Outre l’anéantissement d’une zone naturelle, c’est une âme qu’on détruit, celle de la France. Garris et Riton sont donc des êtres enracinés dans leur territoire. Ils connaissent l’histoire de ce marais, ils en sont les gardiens. Certes balourds et naïfs, ils sont néanmoins les témoins d’un certain mode de vie à la française dans lequel il fait bon vivre. Amateurs de pêches, de bons vins et de longs repas ils deviennent l’incarnation d’une sorte d’image d’Epinal de la France profonde. Pépé, ancien du marais est lui, devenu un riche industriel. Il n’est pas heureux dans sa vie et regrette avec nostalgie le « bon temps », tentant de faire découvrir -en vain- le marais à son petit-fils.

Certes balourds et naïfs, ils sont néanmoins les témoins d’un certain mode de vie à la française dans lequel il fait bon vivre

Loin du mythe d’un âge d’or dépeint dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode puis par Ovide dans ses Métamorphoses, la destruction d’un tel « coin de paradis » est un phénomène actuel et prégnant. En effet, ce marais détruit il en existe des milliers en France comme l’indique le Rapport pour la conférence environnementale de septembre 2012. A titre d’exemple entre 2006 et 2010, la part des sols dits « artificialisés » est en augmentation de 6% alors que, dans le même temps, la population, elle, ne progressait que de 2,3 %, correspondant à la bétonisation pour ces quatre petites années d’un département comme le Rhône.

Cette réalité déjà décrite dans l’ouvrage Éloge à la terre de Bérangère Thomas, dans lequel « les yeux du poète se heurtent à une société qui pose un sarcophage de béton et de bitume sur les villes et sur les campagnes » est problématique pour la sauvegarde du mode de vie français. En effet, sans tomber dans des caricatures et des schémas outranciers à la Barrès, dans lequel la perte du lien à la terre conduit au suicide, il est vrai que cette perte du réel pose problème pour l’équilibre de notre société contemporaine. Le déracinement de l’Homme, conduit l’individu sans identité à l’égocentrisme puis au « consommatisme » (selon l’expression d’Elisabeth Laville). Il s’agit bien d’un transfert d’identité. Au départ, cerclé par un espace géographique et par des liens de sociabilité et donc de subsidiarité, l’identité nouvelle est fondée sur la réalisation personnelle et égoïste de ses besoins, en consommateur. L’enfant du marais, enraciné et sociable, est bien devenu l’enfant du marasme, individualiste et consumériste.  

L’enfant du marais, enraciné et sociable, est bien devenu l’enfant du marasme, individualiste et consumériste.  

La philosophe, Simone Weil dans L’enracinement ou prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, en 1949, résume bien cette situation : « L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. »

Pour cette grande mystique, ce déracinement est la plus dangereuse maladie des sociétés humaines. Il conduit à « une inertie de l’âme presque équivalente à la mort comme les esclaves au temps de l’Empire romain ». La responsabilité des hommes politiques est alors de « prendre toutes les dispositions susceptibles d’amener dans la plus grande mesure possible le pouvoir sous toutes ses formes, sans exception, aux mains de ceux qui acceptent en fait d’être liés par l’obligation universelle envers tous les êtres humains ». Il serait donc du devoir de l’élu mais aussi de l’intellectuel de poser des limites à un « certain sens de l’Histoire ». Cette pensée philosophique reprise aujourd’hui par l’Eglise catholique sous l’impulsion de l’encyclique papale Laudate si, cherchant à sauvegarder la « maison commune », présente un paradigme différent au modèle dominant, appelant à repenser les interactions entre l’être humain, la société et l’environnement.

Ce combat pour l’enracinement est, comme l’affirme Camus, « l’unique voie d’une renaissance pour la France et pour la civilisation européenne, le seul programme authentiquement révolutionnaire dans un monde qui cherche sa boussole ».