Dans un essai intitulé « L’Eglise catholique est-elle anticapitaliste ? », le dominicain Jacques-Benoît Rauscher explore la complexe question du rapport de l’Eglise au capitalisme. Et se lance dans une classification des catholiques selon leur attitude vis-à-vis du capitalisme.
Le traitement fantomatique, pluriel puis enfin clair du capitalisme par l’Eglise
L’auteur, fort de sa triple casquette de sociologue, théologien et religieux, se prête d’abord à un exercice d’exégèse des encycliques et autres textes officiels de l’Eglise portant sur la question du capitalisme. Il retrace ainsi l’histoire de l’approche du capitalisme par l’institution. Le Rerum Novarum de Léon XIII, considéré comme le texte novateur de la doctrine sociale de l’Eglise, est vu sous un jour nouveau. La nécessité impérieuse de rejeter le marxisme pousse le pape à ne pas condamner nommément le capitalisme, traité de manière « fantomatique » comme système économique, donc comme réalité plurielle. Si l’on prend l’exemple de la propriété privée, Léon XIII la défend ardemment contre la collectivisation, ce qui « manifeste, de facto, une certaine bienveillance à l’égard du capitalisme ». Taper sur les rouges, c’est plus facile que de s’attaquer à Oncle Sam et son esprit prédateur. Sous Pie XI et Paul VI, on s’attache encore à une définition du capitalisme comme ensemble d’outils économiques.
Des dérives au système
Un capitalisme « recevable » coexisterait alors avec d’autres formes condamnables de ce système dont on dénonce les « excès » circonstanciés. Mais le XXème siècle marque tout de même un tournant, le même Pie XI a des mots très durs contre le « marché libre » et Paul VI s’attache à critiquer une vision de l’homme fondée sur quelques caractéristiques économiques et consommatrices comme pour l’homo œconomicus. L’exploration des textes sacrés montre bien l’inadéquation entre recherche de l’enrichissement personnel et morale chrétienne. Le déclin du marxisme permettra au capitalisme d’être défini comme unité par l’Eglise, qui adopte enfin la vision anthropologique déjà évoquée dans des travaux préalables à la réaction du Rerum Novarum mais non retenus. De la critique de l’attitude condamnable de « personnes singulières » l’Eglise passe à celle d’un véritable « système ».
L’esprit du capitalisme, son ethos, est fermement condamné par Jean Paul II, le premier à le faire de manière franche. Le Pape François est l’exemple le plus probant que nous retenons de cette condamnation, il est le pape du lendemain de la crise de 2008 qui promeut l’écologie intégrale dans Laudato Sì. Cette encyclique fit pousser à Jean-Luc Mélenchon un cri formidable : « Vive le Pape ! ». Le « traitement fantomatique » du capitalisme a donc laissé place à une critique sans ambiguïté de son « esprit » et la conviction que « tout est lié ». Mais un paradoxe demeure, celui de la position à adopter face à lui.
Face au capitalisme, deux postures lâches
« S’il est, dans certains cas, possible de s’associer aux structures du « capitalisme recevable », il ne faudrait pas suivre l’esprit qui les habite et dirige les pratiques à adopter en leur sein ». En quelques mots, Jacques-Benoît Rauscher résume brillamment l’ambiguïté qui habite, ou devrait habiter, chaque catholique. Comment évoluer dans des structures dont on conspue l’idée créatrice, l’idéologie latente ? Deux attitudes visent à résoudre ce paradoxe. Les réformistes s’engagent et agissent vertueusement dans ces structures, en abandonnant volontairement la critique de leur éthos. Les conciliateurs se prêtent à un jeu plus osé en tentant de « trouver des points communs entre ethos capitaliste et catholicisme. » Au début des années 1980 aux Etats Unis, des intellectuels comme Michael Novak s’attachent à prouver que le marché libéralisé crée du lien social et permet de développer la fraternité et la solidarité entre les individus. De là à dire que les délocalisations sont une œuvre d’évangélisation, il n’y a qu’un pas. La démarche conciliatrice est rapidement exclue tant par la contradiction évidente entre les anthropologies chrétiennes et capitalistes que par les évolutions contemporaines d’un système dont le lecteur de Limite connait les méfaits.
La radicalité, une impasse ?
L’attitude qui nous semble la plus intéressante est celle des intransigeants. Jacques-Benoît Rauscher nous associe volontiers à ceux qui rejettent radicalement l’esprit du capitalisme ainsi que ses structures, considérés comme indissociables. Promouvant par le passé un ordre nouveau ou de nouvelles pratiques personnelles, l’attitude intransigeante se caractérise aujourd’hui par l’appel au rétablissement de pratiques communautaires saines et à une écologie intégrale. Mais selon le dominicain, la transformation radicale des modes de vie et les velléités insurrectionnelles trouvées chez l’auteur Falk Van Gaver mais qu’il prête à tout ce mouvement sont des « solutions théoriques inapplicables » qui nous condamneraient au communautarisme. Il reconnait néanmoins que les intransigeants ont avec eux la « fraicheur de l’utopie ».
« L’éthique des vertus », une réponse pertinente ?
Pour l’auteur de ce livre qui a le mérite de contribuer à un débat nécessaire, s’il faut refuser l’éthos capitaliste on se doit « d’accepter certains aspects » de ses structures. Il fait l’apologie d’une « approche par les vertus », en référence à l’éthique des vertus de St Thomas d’Aquin. L’auteur revendique la réflexion thomiste sur l’usure : il la rejette en raison de ses fondements mais s’accommode de sa pratique collective, au nom de la faiblesse humaine et du bien commun. Il revient alors à une élite morale d’agir pour assainir cette pratique. Une réflexion intéressante sur l’action dans les structures capitalistes qui n’est pas sans soulever des questions fondamentales quant aux visées de l’intervention. La logique du moindre mal est-elle suffisante ? Agir vertueusement au sein des structures capitalistes sauvera-t-il la biodiversité ? Face au triomphe de l’utopie libérale et capitaliste, n’est-ce pas une nouvelle utopie radicale qu’il faut bâtir ? Si la radicalité nous semble la meilleure attitude face à l’urgence environnementale et sociale, ce n’est pas seulement en raison d’un ethos capitaliste que nous rejetterions mais bien parce que notre terre brûle.
Encore une diatribe anticapitaliste incompréhensible au nom du catholicisme.
Non, défendre « la propriété privée […] contre la collectivisation » n’est pas manifester « une certaine bienveillance à l’égard du capitalisme ».
C’est choisir le capitalisme.
Le capitalisme n’est rien d’autre que le respect de la propriété privée.
Ce n’est pas un système, c’est tout le contraire.
Le capitalisme n’a pas d’État, de monnaie à cours légal ou de banque centrale, toutes ces institutions lui sont postérieures et contraires.
Le monde occidental n’est pas capitaliste, ou si peu. Votre procès du capitalisme est un contresens complet.
« L’esprit du capitalisme, son ethos », c’est le refus de voler, d’extorquer, d’agresser.
Ce n’est rien d’autre.
La capitalisme n’a pas de structure ni d’institution autre que la propriété.
L’échange s’ensuit: C’est la seule alternative à l’extorsion et au vol.
En quoi pour être catholique faudrait-il condamner l’ordre providentiel et préférer l’agression à l’échange volontaire ?
Cessez de vous payer de mots: Ce qui n’est pas volontaire est contraint et il n’y a pas de troisième option.
Vous osez prôner l’usage de la contrainte au nom de Jésus: C’est injustifiable, absolument contraire à Son exemple et à Son enseignement.
« vision de l’homme fondée sur quelques caractéristiques économiques et consommatrices »
La vraie vision de l’homme, c’est à l’Église de la propager, et le capitalisme lui laisse le champ libre.
Le capitalisme ne porte pas de vision de l’homme.
Je pense que la propriété est un droit fondamental et le fondement de l’ordre social providentiel, cela n’en fait pas l’alpha et l’oméga.
Le capitalisme vous laisse libre d’organiser toutes les sociétés que vous voulez, il ne vous interdit qu’une chose: Agresser autrui, c’est-à-dire porter atteinte à leur propriété. Pourquoi cette limite vous est-elle si insupportable ?
« Pour l’auteur de ce livre qui a le mérite de contribuer à un débat nécessaire »
Je n’ai pas aperçu l’esquisse d’.un débat dans vos colonnes, je n’y vois que la condamnation sans appel ni justification de la liberté d’échanger.
Vous pensez que le capitalisme n’est pas un système, je pense tout le contraire. Il s’assume lui-même comme tel d’ailleurs. ( http://www.lefigaro.fr/le-talk/2008/10/14/01021-20081014ARTFIG00657-il-n-y-a-pas-de-meilleur-systeme-que-le-capitalisme-.php )
Benoit vous a bien répondu en dessous.
Bien cordialement,
Théo
En réponse au commentaire précédent,
à moins de croire que l’homme existe indépendement du monde concret dans lequel il est inséré (ce qui peut se défendre mais au prix d’un dualisme radical dont même Platon aurait rougi , du type : l’homme c’est l’âme, les idees, les valeurs, indépendement de son coprs et du monde dans lequel il est. ) il est évidement faux de considérer que le capitalisme (comme n’importe quel autre mode d’organisation de la production) ne porte pas une vision de l’homme. Toute organisation humaine porte avec elle une conception de l’homme. Tout mode de production est en même temps un mode de relations sociales (Marx), toute action humaine est une action morale (Thomas d’Aquin).
Ensuite que le capitalisme soit le régime de la propriété privée… c’est une affirmation courante dont on se doit de questionner la véracité.
Relisons nos classiques : Marx, manifeste du parti communiste.
Le capitalisme c’est la propriété privée, certes, mais de quelques uns seulement. Les capitalistes en l’occurence.
La chose est simple le capitalisme se définit comme le système dans lequel certains possèdent les moyens de production (le capital) et d’autre ne possèdent les possèdent pas et vendent leur force de travail à ceux qui possèdent contre salaire pour pouvoir travailler.
Donc OUI, du point de vue du capitaliste la propriété privée est garantie par le capitalistme, mais NON, du point de vue du travailleur elle ne l’est pas puisque le capitalisme implique qu’il ne possède pas lui même son travail mais soit salarié.
Comme le dit Marx, ce ne sont donc pas les communistes qui veulent abolir la propriété privée, c’est le capitalisme qui en son développement l’abolit pour le plus grand nombre.
Resterait ensuite à interoger la valeur de la dite « propriété privée » et sa capacité à assurer, à elle seule, une société du bien commun, je vous renvoie pour cela aux Politiques d’Aristote et à la Somme Théologique de Thomas d’Aquin.
Le principal problème lorsqu’on parle capitalisme, c’est qu’on ne rappelle pas ce que ce mot signifie. La chose est simple pourtant, cela signifie que les travailleurs ne possèdent pas leur travail.
Ensuite si certains, au nom de l’efficacité économique par exemple, veulent défendre le fait que les travailleurs ne possèdent pas leur activité (ce qui en bon français s’appelle une aliénation de leur activité), libre à eux.
Benoit.
Merci Benoit pour la réponse bien formulée.
Cordialement,
Théo
Utiliser les arguments du principal contradicteur du capitalisme mène forcément à sa critique… Mais avez-vous remarqué que ses prédictions se sont avérées fausses? Et que ses adeptes ont quelque peu « dérapé » quand ils ont cru changer de « système »?
Vous faites, entre autre, l’erreur de raisonner de façon statique. Le salarié est dépossédé du capital. Mais le salarié achète une maison, une voiture, des actions et transforme donc son salaire en capital.
Les excès du capitalisme ont le mérité de ne pas être sanglants.
Enfin, de ce que je comprends du résumé que vous faites, l’auteur semble être plus mesuré, appelant à la mesure, dans laquelle réside toute vertu, tout simplement. C’est que le capitalisme est indépassable en tant que respect de la propriété privée.
Superstitions (préjugés irrationnels) marxistes que tout cela, et absurde.
Vous dites: » le capitalisme se définit comme le système dans lequel certains possèdent les moyens de production (le capital) et d’autre ne les possèdent pas et vendent leur force de travail à ceux qui lw possèdent »
1 – Comment le capital productif serait-il sans propriétaire ?
2 – En quoi est-il critiquable de posséder une enterprise plutôt qu’autre chose ?
3 – En quoi un individu serait-il astreint à être salarié plutôt qu’entrepreneur ?
4 – Un salarié possédant des actions est-il gentil ou méchant ?
5 – En quoi est-il mal d’embaucher un salarié, c’est-à-dire de lui promettre un revenu fixe contre son travail, docn d’assumer pour lui les aléas du marché libre ?
6 – En quoi tout cela est-il un « système » et non la conséquence logique de la non-agression ?
Ensuite, que « Le principal problème lorsqu’on parle capitalisme, c’est qu’on ne rappelle pas ce que ce mot signifie. La chose est simple pourtant, cela signifie que les travailleurs ne possèdent pas leur travail. »
Cette fois ce n’est pas le capital productif que le salarié ne possède pas, c’est son travail: Décidez-vous. !
C’est faux puisque le salarié peut démissionner, pour changer d’employeur ou quitter le salariat, donc il possède son travail et l’échange librement.
Le salariat n’est pas un « rouage du système capitaliste » imposé par une dictature, mais un arrangement spontané, naturel.
Je suis sûr qu’Aristote et St Thomas d’Aquin valent mieux que ces âneries marxistes – encore qu’Aristote n’ait guère brillé dans le domaine de l’économie, étant à l’origine de la condamnation absurde du prêt à intérêt…
On ne peut pas exceller en tout, sans doute.
Je suis affligé que des esprits tels que vous, formés à la philosophie, se montrent si obtus en économie alors qu’il s’agit d’une branche de la philosphie.
Je vous en conjure lisez Bastiat, qui avait réfuté le marxisme avant Marx: http://bastiat.org/fr/harmonies.html
Non seulement vous lirez de la vraie philosophie, mais encore vous comprendrez que l’ordre social providentiel est harmonique: « ce n’est pas seulement la mécanique céleste, mais aussi la mécanique sociale qui révèle la sagesse de Dieu et raconte sa gloire. »
Répondez plutôt à ceci:
Au début du 19e siècle un ouvrier embauché par Ford était payé 5$ par semaine, soit un quart d’once d’or par définition du dollar.
C’était bien supérieur au prix de marché du travail, mais sa productivité nouvelle le permettait.
Pourquoi ? Parce que la Ford T est bien conçue et l’outil de production aussi.
Autrement grâce au capital productif développé, et donc légitimement possédé, par Henry Ford.
L’ouvrier n’est pour rien dans sa productivité nouvelle.
Or la valeur du capital produtif d’Henry Ford a exactement les mêmes causes: C’est dans la mesure où ses ouvriers sont prodctifs qu’henry Ford est riche.
Par exemple, Que vaudrait un capital produtif qui n’augmenterait pas la productivité des ouvriers qui l’emploient ? Zéro: On le mettrait au rebut.
Il s’ensuit que la rémunération du capital ne peut pas atteindre la progression des salaires- autrement dit que le capitalisme enrichit les salariés plus vite que les capitalistes (étant entendu que la plupart des gens sont les deux).
Le respect de la loi providentielle est donc parfaitement conforme au bien commun.
Merci d’avoir démontré , avec votre exemple fordiste , que la capitalisme est un système destructeur pour la planète puisqu’il demande toujours plus de productivité et de croissance.
Mon exemple montre qu’il n’y pas antagonisme entre propriétaires du capital productif et salariés, mais au contraire « harmonie des intérêts légitimes ».
Qu’à cela ne tienne les tenants du collectivisme vont alors accuser la liberté de détruire la planète.
C’est une autre superstition (préjugé irrationnel) puisque la productivité consiste à produire plus avec moins.
Le profit que la bien-pensance de gauche hait est l’écart entre les ventes et les achats aux prix du marché: Il augmente donc lorsque les achats diminuent.
Les administrations elles n’ont pas prix de vente, pas de profit, et donc pas de raison de diminuer leurs achats.
Pour réduire le gaspillage il faut donc réduire la dépense publique, c’est-à-dire revenir au capitalisme.
Quant à la croissance du PIB, si elle obsède les socialistes elle n’intéresse pas les libéraux (qui du reste le PIB en horreur, on y additionne la valeur ajoutée de l’écnonomie libre avec la dépense publique).
Derrière la litanie des arguments absurdes contre la liberté, la vérité est qu’elle est rejetée pour elle-même, on préfère généralement asservir ses semblables que respecter leur propriété.
Il n’y a rien là de chrétien, bien au contraire.
On ne peut servir Dieu en agressant les hommes.
le capitalisme est un système économique qui a le libéralisme pour philosophie. Du point de vue économique, le libéralisme c’est la non intervention de l’Etat et l’idée que l’intéret général se réduit à la somme des intérêts particuliers, bref, le règne de la concurrence , la « main invisible » qui harmonise tout…Du point de vue politique, c’est l’affirmation des droits de l’individu, des droits civils et politiques aux nouveaux droits sociétaux, mariage pour tous, PMA etc….Les deux aspects convergent, la revendication des droits permet la dissolution des liens traditionnels dont le capitalisme a structurellement besoin pour établir son empire: rien ne doit échapper aux affaires. c’est bien Magareth Thatcher, peu versée dans le marxisme, qui disait : « la société n’existe pas » il n’y a que des individu.’ je ne suis pas bibliste mais il me semble pas avoir lu cela dans les Evangiles.
Merci pour ces commentaires intéressants. Il me semble que le capitalisme a beaucoup évolué depuis la première industrialisation au XIXème siècle jusqu’à aujourd,hui. Il a montré une capacité d’adaptation assez remarquable. Aujourd’hui il prend la forme du néo capitalisme ou du capitalisme ultra libéral financiarisé. Cette nouvelle économie crée un déséquilibre énorme entre les capitalistes mondialisés qui recherchent le contrôle du marché en leur faveur et y parviennent en pratique, entraînant des déséquilibres aberrants là où pendant les trente glorieuses on était revenu à un équilibre acceptable entre capitalistes et travailleurs salariés.
Merci pour votre réponse particulièrement juste et mesurée, Patrice.
Le livre qui est le sujet de l’article semble aussi aller dans cette voie: la vertu est indispensable à la gestion de tout système, quel qu’il soit, pour qu’il fonctionne sans excès.
Je suis surpris que vous, Théo, suggériez que le radicalisme soit plus efficace et réfutiez ce qui me paraît une évidence, découlant autant de l’observation de nos sociétés que de l’écoute de notre conscience éclairée par la Parole de Dieu (Ancien comme Nouveau Testament) : la nature humaine est ambivalente, capable du meilleur comme du pire. L’énergie créatrice positive qui pousse l’homme à trouver des solutions à ses problèmes vitaux le pousse aussi à la concurrence avec ses congénères puis à l’excès, comme la cupidité et son double, la convoitise, sources de tous les autres maux (pour ne pas écrire péchés).
Ce ne sont pas les systèmes en tant que tels qui posent problème que la manière dont l’homme, par son péché, dépasse les limites en sacrifiant l’harmonie avec le reste de la création et avec ses pairs pour son gain personnel.
Les excès du capitalisme sont évidents pour tous (y compris ceux qui en profitent le plus (cf conférence Ted’s de Nick Hanaouer dont la transcription française est lisible ici : https://www.ted.com/talks/nick_hanauer_beware_fellow_plutocrats_the_pitchforks_are_coming/transcript?Conf&language=fr). Les sociétés tentent de trouver les mécanismes qui écrêtent les excès mais elles le font la plupart du temps en refusant d’intervenir sur le plan de la spiritualité, donc elles échouent.
C’est bien la transformation des consciences qui est la condition d’une vie harmonieuse qui empêcherait les conséquences néfastes de nos excès envers notre prochain et la création.
Je suis, comme d’autre lecteurs, abasourdis par la lecture de votre vision du capitalisme, Théo (et Benoit)
La vie en société (capitaliste ou pas) est un écosystème dans lequel il y a besoin de personnes aux capacités et aux caractéristiques différentes. Il faut des entrepreneurs et ceux-ci ont besoin de salariés. L’opposition que vous décrivez entre capital et travail est totalement anachronique (ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse en trouver des exemples actuels que seule une mauvaise foi patente utiliserait pour généraliser). La seule raison rationnelle qui me vient à l’esprit pour expliquer votre posture, est que vous ne connaissez pas le monde de l’entreprise d’aujourd’hui. Je vous invite à aller rencontrer des entrepreneurs chrétiens facilement contactables par le site des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (lesedc.org). Vous pourrez engager un échange soutenu, visiter des entreprises, parler avec des salariés et des actionnaires. Vous vous rendrez compte que les questions que vous abordez dans votre revue sont très largement au cœur des préoccupations quotidiennes de milliers d’entrepreneurs (chrétiens ou pas) qui cherchent la voie entre l’efficacité économique et le respect de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Oui, c’est difficile. Oui, il y a des tensions entre les parties ambivalentes de chaque être humain. Mais surtout, de grâce, ne pensez pas que les systèmes alternatifs au capitalisme (que vous ne définissez ni ne bâtissez) mais que vous appelez de vos vœux résoudraient ces tensions présentes dans la nature humaine et que nous, chrétiens, savons que seule, la promesse eschatologique faite à l’humanité par le Christ à Pâques permet d’envisager comme potentiellement et définitivement résolues.
Comme l’auteur, selon ce que vous rapportez, je vous crédite, vous les radicaux, de bousculer l’ordre ronronnant. L’histoire vous donne raison contre les gens raisonnables : sans radicalisme ou sans cause exogène, l’ordre établi parvient toujours à conserver les meilleures cartes en main et empêche les changements nécessaires. Je pense que la compréhension qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs progresse. Mais de là à penser qu’il suffit de retourner la table et d’expédier sa douzaine d’œufs par terre pour avoir une bonne omelette…
Donc merci quand même pour votre revue et les débats que vous ouvrez. Je ne saurais trop vous encourager à bâtir des ponts avec des entrepreneurs capitalistes qui partagent votre sentiment sur l’urgence de faire évoluer le capitalisme et partagent votre désir de contribuer au bien commun. Ca peut vous étonner mais ça existe.
Certains d’entre vous semblent ignorer royalement les positions très claires des encycliques sur le capitalisme. C’est regrettable. Le fond du problème est de considérer que le capitalisme aurait des excès corrigeables, alors que partout sur la terre ses conséquences sociales et environnementales sont parfaitement visibles, à un point qui ne peut que nous pousser à remettre en cause les racines de ce système, dont l’anthropologie me semble bien peu chrétienne.
Au delà de cette position politique que j’assume, croyant fermement avec les objecteurs de croissance qu’un autre monde est possible, il est évident que des entrepreneurs et tout un tas de personnes agissent sainement dans les structures capitalistes, j’en connais beaucoup. Cela ne change rien à ma vision politique, qui est de penser que le système qui rend possible les méfaits de Carlos Ghosn et les délocalisations est intrinsèquement malsain.
A l’heure où nos conditions d’existence sont menacées par le système capitaliste mondial, souhaiter sa réforme plutôt que son alternative radicale me semble inopérant.
Si mon article manque de mesure, c’est bien pour participer à lancer ce débat essentiel,
Merci d’y contribuer comme vous le faites, avec esprit.
Théo
Certes j’assume de penser – « éclairé » par ma lecture de la Bible et dans la Foi que j’y puise – que c’est l’homme le problème et non pas le capitalisme en tant que tel.
Mais je suis tout à fait d’accord pour écouter toutes vos propositions pour bâtir un système qui le remplacerait et qui serait intrinsèquement supérieur et qui puisse simultanément :
1) fonctionner avec un être humain qui n’aurait pas accepté une spiritualité qui l’aide à restreindre ses pulsions et comportements intrinsèques et de vivre effectivement selon cette spiritualité; c’est à dire un moyen philosophique permettant à l’homme de se voir non pas d’abord comme un individu en recherche de son bonheur (pour faire simple) mais un individu qui trouve la plénitude par sa contribution à l’équilibre « écologique intégral » (et partant, pour le chrétien, par son cheminement confiant vers la proximité avec son Dieu)
2) être compréhensible au point que la majorité (à l’échelle nécessaire pour que ça soit réaliste, c’est à dire supranationale) accepte le changement de paradigme (y compris sur la notion même de liberté) par choix et non par contrainte (car je postule sur la démocratie et le libre jugement de la personne; je ne connais pas votre position là-dessus)
3) survenir sans cause catastrophique exogène majeure
Votre rejet ipso facto du capitalisme en refusant de considérer la variable de l’humain (la dose de vertu dont parle Jacques-Benoit Rauscher dans le livre), que vous réitérez dans votre réponse est suspect (mais vous avez l’honnêteté de le dire : il est politique, mot qui signifie en réalité « dogmatique » au sens où vous l’acceptez sans devoir/vouloir l’expliquer ou le justifier). D’autant plus que vous définissez l’alternative non pas en tant que proposition réelle mais comme le capitalisme « en creux » (refus de la croissance, propriété collective plutôt que propriété privée, etc.).
David Pouvreau parle au sujet de la Théorie générale des systèmes « d’un décalage manifeste entre d’une part les ambitions théoriques et fondatrices révolutionnaires affichées, et d’autre part la relative modestie des constructions effectivement exposées en tant qu’exemples d’applications » (Pouvreau D., Une histoire de la ”systémologie générale” de Ludwig von Bertalanffy, Thèse EHESS, 2013.
Permettez-moi de le paraphraser pour exprimer au mieux ce que je pense en lisant les opinions de personnes comme vous, dont je me sens proche lorsque vous prononcez des diagnostics mais dont je m’éloigne lorsqu’il s’agit de proposer des solutions réalistes alternatives au capitalisme.
Quant à la rhétorique que vous employez pour refuser le capitalisme en tant que tel, fondée sur le jugement des fruits du système pour discréditer le système lui-même, j’aimerais que vous commentiez au sujet de ce que vous pensez des fruits des systèmes collectivistes passés dont nous avons l’exemple (certes productivistes) et de tout autre système alternatif existant que vous considérez crédible.
Encore une fois, je ne conteste pas votre jugement sur les fruits du système capitaliste (sinon je ne serai pas lecteur de Limite) mais je réitère ma surprise que vous ne me rejoigniez pas dans la conclusion que le préalable à tout changement réel, quel que soit le système, passe par le changement de l’homme lui-même ; et qu’un tel changement ne peut s’envisager sans accepter d’utiliser la clé de la dimension spirituelle, actuellement manquante car enfouie sous le tapis avec comme prétexte qu’elle relève de la sphère privée exclusivement.
Pour finir, puisque je vous reproche l’absence de propositions, je ne voudrais pas me défiler moi-même.
Quelques exemples de pistes que je pense être réalistes pour une rupture graduelle avec le modèle capitaliste actuel, sans remettre en question ses bases anthropologiques, sont les suivantes :
1) Développement de la prise en compte des besoins spirituels des humains par l’éducation, en appui avec les différentes religions qui ont pour beaucoup intégré les notions de limites, d’équilibre, de respect de la création
2) Transformation des règles économiques en incluant des facteurs économiques réels mais actuellement « hors bilan » comme la notion de stocks des ressources à l’échelle de la planète, qu’elles aient été extraites ou non ; durée et manière de provisionner les risques (exemple : nucléaire). Idem sur des coûts externalisés non comptabilisés comme la pénibilité, les nuisances, etc., le travail non rémunéré mais utile à la société, etc. Ainsi, les décideurs auraient les bons outils de pilotage et de mesure d’une activité, au-delà de la performance économique partielle actuelle, tenant compte de l’impact plus global sur la société et la planète.
3) Changement de la notion de responsabilité limitée pour les entreprises/actionnaires et les décideurs, capitalistes ou pas (les pires sont les dirigeants salariés qui sont des mercenaires sans aucune vertu dans la manière de traiter leurs parties prenantes, qu’elles soient actionnaires ou collaborateurs/collègues ; Exemple Carlos Ghosn), afin que les décisions soit prises par les individus en prenant en compte leur risque/intérêt sur le long terme (une vie).
Encore une fois, merci de permettre un débat sur le fond (ce qui devient très rare).
Vincent
PS: pouvez-vous m’indiquer dans quelles encycliques il est énoncé que le capitalisme en tant que tel doit être remplacé? Ma lecture des encycliques est qu’elles mettent en garde vis-à vis du capitalisme qui est un système propice aux dérives, dont les critères de réussite sont opposés aux valeurs de l’Evangile et donc que le chrétien doit être particulièrement vigilant à ne pas se laisser entraîner par ses sirènes s’il veut vivre selon l’Evangile dans la recherche du bien commun. Ca n’est pas la même chose.
Sur la spiritualité, il est évident que toute réforme ou révolution réelle supposera l’abandon de la recherche de profit personnel, de bonheur individuel. Mais cette attitude peut être atteinte rationnellement si les citoyens comprennent que ces comportements individuels sont mortifères. Je ne sais pas comment vous définissez la spiritualité mais la famille des objecteurs de croissance a en ses rangs des athées qui sont engagés sur le chemin de la frugalité. J’espère un retour au spirituel mais pense plus efficace le recours à des arguments scientifiques irréfutables pour sauver la planète et les hommes, dans des sociétés malheureusement de moins en moins spirituelles.
Lorsque je parle de politique, je veux dire qu’à mon avis les chrétiens devraient s’investir dans la cité, et créer des revues, des groupes voire des partis et défendre un autre monde, une autre Europe, un autre système productif, une autre démocratie, une autre agriculture, une autre instruction, une autre politique d’accueil des migrants, une autre politique des transports, une autre politique des énergies, une autre politique de santé, etc. Je n’ai pas de système clef en main, je ne crois pas qu’il y ait besoin d’un autre système comme tel, mais dans chaque domaine j’ai des opinions sur ce qui va mal et doit être changé. Mais percevant à quel point tous ces domaines sont pollués par des logiques de profit, comprenant comme la démocratie actuelle et le règne de quelques partis empêchent une réforme véritable et rapide (le déclin de la biodiversité n’attend pas), à quoi puis-je aspirer d’autre qu’à un grand chamboulement ?
Je rejette le capitalisme en creux car je crains qu’on ne puisse inventer une société viable sans en sortir. C’est non pas le préambule à ma pensée mais son aboutissement après quelques années de réflexion (je suis jeune, je ne réfléchis à tout cela que depuis trois ou quatre ans). Je n’ai pas inventé son remède, mais je sais dire pourquoi une société capitaliste ne peut pas être juste avec les migrants, les pauvres, les femmes isolées… Et je sais aussi que le succès de l’ethos capitaliste est à l’origine de la sortie du spirituel.
Je suis d’accord évidemment avec vos propositions, mais je crois qu’elles ne seront jamais justement appliquées tant que nous n’aurons pas élu un représentant qui marquera dans la constitution que la croissance est une arnaque destructrice.
Deux précisions :
Selon moi, la condamnation de l’ethos capitaliste dans diverses encycliques montre bien que ce système est une impasse. C’est ma lecture, libre à chacun d’en avoir une autre mais je la pense au moins en accord avec le discours de François.
J’exècre les productivistes non capitalistes et me réjouis de voir quelques leaders de la gauche européenne en sortir, bien que difficilement.
Bien évidemment, je reconnais que la raison peut suffire à des personnes athées pour les amener à remettre en cause un modèle fondé sur la croissance (telle que définie actuellement).
Peut-on pour autant espérer convaincre par la raison assez de personnes à l’échelle de la planète ? Je ne le crois pas. Il est utopique de penser que la rationalité est à l’œuvre lorsque la majorité de nos concitoyens prend des décisions (y compris à fort enjeu). L’économiste américain Richard Thaler a reçu le prix Nobel d’économie sur le sujet (ce qui est très intéressant car il a travaillé à l’Université de Chicago l’antre du libéralisme économique, qui a pendant des décennies fondé ses « théories » mortifères sur le postulat exactement inverse).
Ma définition de la spiritualité (ou plutôt ma manière de la comprendre) est que c’est une dimension supplémentaire, métaphysique, qui agit dans le monde (ou en tous cas dans l’Homme) en PLUS des 2 autres dimensions que notre monde moderne scientiste accepte :
– le physique (matière, temps, biologie, etc ; ce qui se mesure, s’étudie, s’explique), ;
– le psychologique au sens large : les besoins de l’être humain en relation avec sa mère d’abord, mais s’étendant ensuite à l’ensemble des relations sociales, et les mécanismes à l’œuvre dans ces relations
De nombreux athées rejettent la dimension spirituelle en raison de l’hégémonie historique de l’église catholique sur les « âmes ». Elle utilisait la spiritualité comme un agriculteur le Roundup pour dominer les populations largement ignorantes et en allant jusqu’à nier la dimension physique et s’opposer à la science par le biais de son quasi-monopole sur la spiritualité. Elle a fini par être contrainte d’évoluer et a largement abandonné cette revendication de prééminence du spirituel sur la science. Elle est en voie d’accepter de le faire sur le psychologique, avec beaucoup de retard et dans la douleur (cf actualité récente), pour le bien de tous et surtout de ses fidèles (qui le sont encore) donc d’elle-même. Merci au Pape François d’avoir donné un coup d’accélérateur, même s’il reste du boulot.
A cause de cette histoire, nous avons désormais l’excès inverse: le scientisme et la technophilie outrancière (sujet qui est largement traité par Limite) et la mise au rebus du spirituel (cantonné à la sphère strictement privée).
Ma lecture de la Bible et des progrès des sciences « dures » comme « humaines » m’amène à intégrer l’ensemble de ces 3 dimensions
– le réel (la création)
– le psychologique
– le métaphysique (ou ce que j’ai appelé le spirituel)
pour comprendre le monde et les comportements des hommes, puis, partant, d’essayer de formuler des solutions pratiques pour notre vie en société et la pérennité de son existence. C’est la clé de lecture de mes posts précédents au sujet du capitalisme et l’église catholique.
Si la métaphysique est une dimension de notre monde en évolution, comment pourrait-on en faire abstraction pour trouver des solutions au moment où il est bouleversé par l’homme au point de le mettre en danger ?
C’est pourquoi je pense que les chrétiens mais aussi tous les êtres qui acceptent la dimension spirituelle (car je ne suis pas convaincu que sa prise en compte soit un monopole chrétien) et aussi ceux qui se satisfont du cartésianisme scientifique doivent coopérer pour construire non pas une mais plusieurs approches convergentes pour relever les défis qui se posent à l’humanité et mettre en œuvre les principes de l’écologie intégrale.