L’examen du projet de loi bioéthique a commencé en commission spéciale à l’Assemblée Nationale. Les débats dans l’hémicycle débuteront eux le 24 septembre. De son côté, le collectif « Marchons enfants ! », emmené par La Manif pour tous, les AFC et Alliance Vita, entend mobiliser largement contre la « PMA sans père » le 6 octobre, lors d’une manifestation nationale unitaire à Paris. Pour nous, l’opposition, légitime, à un tel bouleversement ne doit pas se retourner contre les personnes homosexuelles ni nous détourner de l’urgence écologique.

Des lois qui interrogent la condition humaine

La révision des lois relatives à la bioéthique suscite beaucoup de réserves et de critiques. Les réactions des partisans et des opposants à cette évolution ravivent des blessures et des fractures profondes. Certains n’y voient qu’une affaire d’égalité et d’autonomie individuelle, d’autres estiment qu’il s’agit là d’une grave transgression, privant des enfants du droit de grandir avec leur père et ouvrant la voie à la GPA et à l’eugénisme. Les questions relatives à notre condition humaine, et à la filiation en particulier, sont à la fois intimes et communes, complexes et fondamentales : le débat doit être à la hauteur des enjeux, fondé en raison et soucieux du bien commun.

Au sein de Limite, nous essayons de réfléchir en citoyens soucieux de contribuer à la conversion écologique de nos sociétés face à l’urgence bioclimatique. Cependant, mus, entre autres inspirations, par la doctrine sociale de l’Église, nous ne pouvons nous abstraire de la profonde crise morale que traverse le monde catholique du fait des très nombreux et très graves abus spirituels et sexuels commis en son sein. Il nous semble que cela devrait inciter à plus de prudence et d’humilité dans notre manière d’appréhender les évolutions de la société. Dans ce contexte, il nous apparaît opportun d’éclaircir notre positionnement dans le contexte des débats bioéthiques.

Notre approche est technocritique

Nous voulons d’abord réaffirmer que nos critiques sur la FIV, la PMA avec tiers donneur et la GPA ne sont pas des attaques contre les couples homosexuels, les couples hétérosexuels stériles, ou les femmes célibataires, mais bien contre le recours à ces techniques de manière générale. Notre conviction est simple : l’artificialisation de la procréation pose plus de problèmes (escamotage du père ou de la mère, transformation de la médecine en prestation de services, risque de marchandisation des gamètes, sélection eugénique et manipulation embryonnaire, etc.) qu’elle n’en résout. Elle se traduit par une aliénation accrue à des techniques et à des marchés qui exploitent cyniquement les souffrances bien compréhensibles liées au désir d’enfant.

Face à cette double emprise, la catastrophe écologique en cours devrait nous ouvrir les yeux : il est urgent, aussi bien dans le domaine environnemental que dans le champ social, d’abandonner « le fantasme de l’homme autoconstruit » (Olivier Rey), fantasme d’emprise et de toute-puissance qui nous conduit à tout artificialiser. La GPA et l’utérus artificiel se profilent à l’horizon, indépendamment de l’orientation sexuelle des personnes, et déjà les profits des cliniques de fertilité, qui promettent des bébés sur mesure, explosent. A l’heure où le capitalisme est de plus en plus décrié, va-t-on faire du corps humain un nouveau marché ? En réalité, les progrès techno-scientifiques nous posent une question fondamentale : voulons-nous vivre dans un monde où tout ce qui est faisable devienne légal, où tout puisse se modifier et se monnayer ?

Accueillir inconditionnellement

Les inquiétudes relatives à la PMA et aux autres évolutions bioéthiques sont plus que légitimes, mais elles deviendraient aberrantes si elles se retournaient contre les personnes concernées. Nous entendons la douleur de nos frères et sœurs qui se sentent exclus de leurs églises du fait de leur orientation sexuelle, alors que les mêmes communautés continuent à accueillir avec complaisance en leur sein des personnes exerçant des activités économiques difficilement compatibles avec l’évangile et l’enseignement social de l’Église. L’attitude voulant accueillir le pécheur en condamnant le péché devient incompréhensible si elle se transforme en « deux poids, deux mesures ».

C’est un devoir pour tous les chrétiens que de dénoncer les mises au ban familiales, le harcèlement et toutes les formes d’agressions dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle. Prenons garde, plus que par le passé, à ce qu’aucun de nos propos ne puisse laisser entendre que nous cautionnerions de tels méfaits. Les chrétiens doivent prêter plus d’attention aux difficultés que vivent les personnes homosexuelles et transgenres partout dans le monde, aux violences et discriminations qu’elles subissent. Comment pourrions-nous, en tant que chrétiens, défendre la dignité inconditionnelle de toute personne humaine et accepter qu’ici ou là, des autorités ecclésiales soutiennent la criminalisation de l’homosexualité ?

Nos engagements ne doivent pas être déséquilibrés, exclusifs, mais proportionnés : « tout est lié », mais nul droit ne peut être défendu dans un monde inhabitable.

L’écologie est la mère de toutes les batailles bioéthiques

Enfin, sans négliger les menaces liées aux évolutions bioéthiques (marchandisation, eugénisme, transhumanisme…), nous voudrions inviter nos sœurs et frères chrétiens à entendre enfin réellement l’appel de l’encyclique Laudato Si : l’écologie intégrale ne consiste pas à plaquer le mot « écologie » sur des enjeux sociétaux, mais à défendre la vie partout où elle est menacée, à commencer par notre maison commune, la Terre, ravagée par l’égoïsme et la cupidité. En France comme ailleurs, les chrétiens devraient être en première ligne des combats pour la justice sociale et le respect de la biosphère. Au moment où de plus en plus de nos concitoyens se mobilisent pour protéger ces biens communs que sont le climat ou la biodiversité, quel contre-témoignage ce serait si nos engagements bioéthiques nous conduisaient à délaisser le reste de la Création ! Nos engagements ne doivent pas être déséquilibrés, exclusifs, mais proportionnés : « tout est lié », mais nul droit ne peut être défendu dans un monde inhabitable. Quand ce sont les conditions de vie de l’humanité tout entière, en commençant par les plus pauvres, qui sont menacées, allons-nous vraiment mettre toute notre énergie dans les luttes sociétales sans en garder pour les combats environnementaux ? « Écouter la clameur de la terre autant que la clameur des pauvres » (LS, §49), « combattre la pauvreté, rendre la dignité aux exclus et, simultanément, préserver la nature » (LS, §139) : une authentique « éthique de la vie » intègre cela. C’est pour tous les vivants que nous devons nous battre. Vraiment pour tous. Question de justice et de charité.

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