« Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir ? », se demandait le poète. À en croire les ornithologues, il semble bien en tout cas qu’ils meurent, massivement, silencieusement, sans qu’on s’en aperçoive. La faute, notamment, à nos ressentis trompeurs qui nous font prendre pour normal ce qui est désastreux.

J’ai commencé à pratiquer l’ornithologie de terrain il y a un peu plus de vingt ans. De ces années lointaines, il reste des carnets, des fichiers, dans lesquels il m’arrive de me replonger afin de les transmettre aux bases de données en ligne qu’alimentent désormais les associations de protection de la nature. Un petit coup de périscope personnel dans l’évolution des populations d’oiseaux. J’examinais de la sorte des données de l’année 2003, recueillies entre Arcueil et Cachan. Je m’en souvenais comme de lieux fort ingrats sur le plan de la biodiversité. Et relisant ces fichiers j’y découvrais une liste d’espèces qu’on aurait crue relevée en pleine forêt, dont le Pic épeichette et le Bouvreuil, deux espèces aujourd’hui en bonne place sur la liste rouge des oiseaux menacés de France. En 2018, ni à Lyon où j’exerce, ni à Arcueil, je n’espèrerais plus collecter une telle liste. J’avais oublié qu’il y a seulement quinze ans, elle avait été possible. Je n’avais pas conscience de l’ampleur de la perte survenue en si peu de temps. Je venais d’être victime, moi-même, à l’échelle de ma propre carrière d’ornithologue, du syndrome de la référence changeante.

Derrière ce nom barbare, un ennemi. Un adversaire aussi insidieux qu’implacable de toute prise de conscience et de tout passage à l’action face à la crise écologique, et notamment à la destruction des écosystèmes.

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