Le libéralisme n’est si solidement ancré dans nos vies que parce qu’il nous fait prendre des vessies pour des lanternes. Frédéric Dufoing démonte pour nous ces prétendues évidences. Nouvelle entrée de ce bêtisier libéral : le ruissellement.

Les idéologies politiques ne sont pas seulement construites autour de raisonnements savants et de valeurs explicites, elles se formalisent aussi dans une vulgate, un discours plus synthétique, plus abordable, parfois plus poétique, chargé de références culturelles qui le rendent familier à ceux à qui il s’adresse et qui se rapproche, de fait, du discours publicitaire. On y trouve de nombreuses métaphores, ces figures de style basées sur une analogie enrichie d’éléments extérieurs, importés, de connotations, qui modifient son sens. Ainsi, de même que le poète écrit : « la terre est bleue comme une orange », le libéral, lui, évoque un effet de ruissellement des richesses pour justifier les baisses d’impôt des plus nantis. Ne dit-on pas que  « ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières » ? Notre phénomène naturel va dès lors avoir des conséquences « en cascade » : c’est une pluie d’or qui va tomber sur la population, et sur les plus pauvres en particulier…

Notre phénomène naturel va dès lors avoir des conséquences « en cascade » : c’est une pluie d’or qui va tomber sur la population, et sur les plus pauvres en particulier…

Au fond, rien de nouveau sous le soleil : la politique fiscale du gouvernement Macron est un avatar supplémentaire et banal de ce que la macroéconomie libérale professe depuis ses débuts : une politique de relance par l’offre. L’assimiler à un phénomène naturel, de surcroît aisé à percevoir (contrairement à la main invisible) et qui fait l’impasse sur la croyance douteuse en la vertu des riches qui réinvestiraient nécessairement leurs gains dans l’économie, c’est juste transformer le mensonge en sophisme à la faveur d’une formule de rhétorique, laquelle répète et prolonge le fameux « il n’y a pas d’alternative » de Margaret Tatcher. Cela permet surtout de faire oublier qu’une telle politique fiscale est à la fois biaisée dans ses principes de base et inefficace dans un système de liberté de circulation des capitaux, auquel elle est censée répondre, cela en sus d’être inéquitable dans un contexte de restriction budgétaire, et socialement injuste.

Cette politique fiscale est biaisée et inefficace parce qu’elle considère que la cellule de base d’une économie, ce n’est ni l’entreprise, ni la famille, ni l’association, ni surtout les travailleurs, mais les détenteurs de capitaux (essentiellement mobiliers), les pourvoyeurs financiers, ceux qui injectent de l’argent, c’est-à-dire des moyens d’échange, dans l’économie. Ainsi, il faudrait faire aveuglément confiance en leur rationalité et en leurs intérêts, comme s’ils étaient ceux de l’immense majorité de la population ; comme si les hauts rendements à court terme qu’ils recherchent sur les marchés internationaux servaient les entreprises et les travailleurs ; comme si une injection de capitaux, qui peuvent favoriser les machines et l’automatisation plutôt que l’emploi, donc la consommation, suffisait à relancer les entreprises ;  comme si une baisse de taxation des capitaux pouvaient retenir les capitaux mobiles sur un territoire alors qu’il existe toujours de meilleures opportunités d’investissement là où la main d’œuvre est encore moins chère, la fiscalité encore plus attractive, les produits financiers encore plus volatils, les possibilité de spéculation encore plus nombreuses.

Non seulement le ruissellement est improbable mais, quand bien même il aurait lieu, il n’amènerait pas de grandes rivières.

Non seulement le ruissellement est improbable mais, quand bien même il aurait lieu, il n’amènerait pas de grandes rivières. Notamment parce que les pertes de revenus de l’État, censées être compensées par les fortunes qui restent, les entreprises qui se créent et donc la consommation qui reprend, le sont surtout par des économies sur les services publics et les aides sociales : ce sont dès lors les pauvres et les classes moyennes qui paient à la place voire pour les riches, consomment et épargnent moins. Le pari fiscal libéral se fait avec l’argent et la précarité croissante des pauvres et des classes moyennes. L’État prête aux riches à la condition qu’il puisse (et non pas qu’il doive) réinjecter une partie de ce qu’ils gagnent dans l’économie. C’est moralement injuste, tout autant qu’inéquitable, même eu égard aux principes du pacte républicain : d’abord parce que seuls les riches ont la possibilité d’éluder l’impôt, c’est-à-dire de partir ou de placer leur argent ailleurs, l’obligation ne demeurant que pour les faibles, ensuite parce que retirer des millions à un milliardaire ne menace pas sa survie ni même son train de vie, alors qu’enlever à une majorité de citoyens quelques centaines d’euros, voire parfois, quelques euros, met en danger leur survie ou leur qualité de vie.

Métaphore pour métaphore, le ruissellement de Macron pourrait bien n’être que la sueur des riches qui prolongent leurs vacances dans les paradis fiscaux.