Mais en fait, qui est pauvre aujourd’hui ? Afin de poser les bases d’un dossier sur la pauvreté, mieux vaut savoir de quoi on parle. Il nous faut des chiffres ! Mais la rigueur des statistiques altère parfois la vérité du terrain. Nous avons donc recherché un interlocuteur qui, selon le mot de Bergson, « pense en homme d’action et agit en homme de pensée » … et nous l’avons trouvé. Rencontre avec Daniel Verger, Responsable « action et plaidoyer » au Secours Catholique.

Qui est pauvre aujourd’hui en France ?

La définition de la pauvreté nous est donnée par l’Insee : le seuil de pauvreté est fixé à 60 % du revenu médian, soit 1008 euros par mois et par adulte seul. Le montant varie ensuite selon la composition du ménage. Quoi qu’il en soit, cela représente près de 9 millions de personnes, chiffre qui a fortement augmenté depuis la fin des années 1990, notamment entre 2008 et 2012. Depuis quelques années, ce chiffre se stabilise.

J’attire votre attention sur l’une des composantes impor­tantes de ce chiffre. Parmi ces 9 millions de personnes, on compte près de 3 millions d’enfants, ce qui est significa­tivement plus que chez nos voisins.

Le 18 novembre paraissait le 35e rapport annuel du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France. Quelles évolutions de long terme avez-vous pu observer ?

Notre rapport retrace spécifiquement les évolutions depuis l’an 2000, si bien qu’avec un recul de quinze an­nées, nous sommes en mesure de déterminer des ten­dances lourdes. Tout d’abord, la pauvreté ne faiblit pas. Même si elle sem­ble avoir atteint un plafond. Ensuite, il apparaît qu’elle concerne davantage les familles, notamment mono­parentales (29 %) mais l’on observe une précarisation croissante des familles en général. Autrement dit, en pro­portion, nous recevons moins de personnes seules, ce qui conduit à adapter l’aide que nous pouvons offrir. De même que le soutien apporté peut varier entre une famille et une personne seule, il existe différents niveaux de pauvreté. Une mère célibataire qui touche 900 euros par mois n’a pas les mêmes attentes qu’un sans-abri.

Par exemple, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la première revendication des plus pauvres parmi les pauvres ne concerne pas les questions matérielles, mais l’écoute. Il s’agit du premier besoin exprimé pour 57 % d’entre eux. Ce chiffre m’apparaît extrêmement signifi­catif car conformément à ce que l’on peut vivre sur le terrain, les plus désoeuvrés aspirent en premier lieu au respect et à la dignité.

Au Secours catholique, le revenu médian de ceux que nous accueil­lons s’établit à 530 euros, soit la moitié du seuil de pauvreté. Nous rencontrons donc l’ensemble des types de pauvreté avec des attentes différentes. Par exemple, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la première revendication des plus pauvres parmi les pauvres ne concerne pas les questions matérielles, mais l’écoute. Il s’agit du premier besoin exprimé pour 57 % d’entre eux. Ce chiffre m’apparaît extrêmement signifi­catif car conformément à ce que l’on peut vivre sur le terrain, les plus désoeuvrés aspirent en premier lieu au respect et à la dignité.

C’est pour cette raison que nous structurons notre action autour de moments de fraternité, où l’on prend le temps de s’apprécier et de vivre les uns avec les autres. J’insiste sur l’aspect primordial de la fraternité car nous rencon­trons jour après jour des personnes blessées par la dureté du regard de la société. Cette fraternité constitue une réponse à la stigmatisation que subissent ces personnes.

Par quoi se manifeste cette stigmatisa­tion ?

Par les préjugés constamment relayés, notamment par certains politiques, lesquels fustigent « les assistés » qui ne se donneraient pas les moyens de s’en sortir. Les per­sonnes en situation de précarité intègrent le regard très négatif de la société, regard qui se traduit en souffrance et en une amplification du manque de confiance en soi. Cette stigmatisation aggrave ce que les sociologues ap­pellent la désaffiliation (dans le langage commun, on pourrait parler d’exclusion radicale NDLR).

[…]

La suite est à lire dans le cinquième numéro de la Revue Limite, en vente en ligne et en librairie (liste des 250 points de vente). 

Vous pouvez également vous abonner pour recevoir les quatre prochains numéro (à partir du 6 à paraître en mars) directement chez vous.