Après s’être publiquement opposé au TAV, projet de ligne ferroviaire rapide Lyon-Turin, l’écrivain italien Erri De Luca encourt la prison ferme pour incitation au sabotage. À travers lui, c’est tout le mouvement NO TAV qui est visé et criminalisé.

« La TAV doit être sabotée. » Mis en examen en 2014 suite à ces paroles pour incitation au sabotage contre le projet de ligne TAV Turin-Lyon, l’écrivain italien Erri De Luca, devenu anarchiste dès sa jeunesse après la lecture d’Hommage à la Catalogne de George Orwell, et ancien militant du mouvement révolutionnaire d’extrême-gauche Lotta Continua, retourne l’accusation contre les accusateurs et entreprend, à travers ce pamphlet aussi juste que mordant (« Cette inculpation est mon premier prix littéraire en Italie. »), non seulement une apologia pro vita sua mais avant tout et surtout une défense et illustration du mouvement de résistance civile NO TAV – équivalent du mouvement des ZAD de Notre-Dame-des-Landes (rebaptisée joliment par les zadistes Notre-Dame-des-Luttes), de Sivens et d’ailleurs : « J’ai pris le parti d’une petite communauté en lutte compacte et intransigeante contre une oppression. »

Erri De Luca, grand et fin lecteur de la Bible qu’il invoque ici aussi, se veut, si ce n’est prophète, écrivain, et à ce titre voix des sans-voix face aux puissants de la terre : « Ouvre ta bouche pour le muet. » (Proverbes 31, 8) C’est de manière très catholique encore que l’athée Erri De Luca fait comme le pape François l’éloge des Lampédusains : « À Lampedusa aussi, une communauté réagit à la dégradation imposée par des lois criminelles. Les ordres venus du continent ont voulu serrer un nœud coulant autour de l’île et en faire une terre fermée. Les Lampédusains l’ont dénoué et ont fait une terre ouverte. Donner à manger, à boire, de quoi se vêtir, de quoi se loger, assister les malades, les prisonniers, les morts : les sept œuvres de miséricorde ont été accomplies par eux, qui vivent sur la mer et se servent des lois inverses. »

La désobéissance civile se fonde ainsi sur l’objection de conscience, c’est-à-dire in fine sur la conscience morale et le sentiment de justice, Antigone contre Créon, contre toute raison d’Etat et intérêt bien compris de l’économie.

Face à la raison étatique et à la raison économique liées dans la collusion monstrueuse entre les grandes entreprises et la haute administration, Erri De Luca défend la population du val de Suse, non seulement caricaturée et marginalisée comme réactionnaire et rétrograde, ennemie du progrès, mais criminalisée pour sa résistance à la dévastation de son petit pays par une répression militarisée de grande ampleur – plus de mille inculpations au moment où l’auteur écrivait ces lignes : « On prétend écraser par la violence les raisons et les corps d’une petite vallée. » À l’instar des ZAD, la communauté susoise et tous ceux qui se sont associés à son combat contre le viol de son territoire réalisent une contre-utopie nécessaire face à l’utopie dévastatrice de l’économie, de la technique et de l’Etat : « L’utopie n’est pas un point d’arrivée, mais un point de départ. On imagine et on veut réaliser un lieu qui n’existe pas. Le val de Suse se bat depuis une génération pour la raison inverse : pour que le lieu résiste encore. » Ainsi, même si on a la loi et les forces de l’ordre contre soi, « on devrait résister quand même : pour le droit de souveraineté et de sauvegarde d’un peuple sur sa terre. »

Son procès a eu lieu le 20 mai 2015, la prochaine audience est fixée au 21 septembre. Nous saurons alors si pour les Créons contemporains, les Antigones qui résistent à l’industrialisation de leur monde et de leur vie sont définitivement hors-la-loi.

Erri De Luca, La parole contraire, Gallimard, 2014, 50 p., 8€

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