L’agriculture urbaine a le vent en poupe et a hissé la grand-voile dans la capitale française avec le tout dernier projet Mushroof dans le quartier de La Chapelle. Ce projet vise à créer la plus grande ferme urbaine européenne grâce aux 33 lauréats du concours Pariculteurs, saison 2. Le premier appel des Pariculteurs lancé en 2016 avait abouti à la validation de 33 projets sur des toits, des murs et des sous-sols (parking et métro), soit 5,5 hectares de surface.

Le milieu urbain impose souvent au jardinier de faire face à un sol rare, bétonné ou très dégradé et au manque d’espace pour réaliser ses cultures, d’où l’exploration de nouveaux espaces cultivables en ville. Par ailleurs, dans sept agglomérations françaises, une étude de la JASSUR réalisée entre 2012 et 2016 a conclu que la moitié des 200 échantillons de sols de jardins prélevés était contaminée par des métaux lourds, dont un dixième à des seuils problématiques. Loin d’empêcher les gens de jardiner en ville, cela a tout de même forcé à repenser l’emploi de certains espaces et à mettre en place des travaux de phytoremédiation (plantes dépolluant les sols), de surélever des parcelles par des apports de terre/compost et de développer des cultures surélevées. La question de la pollution est fondamentale et  permet de poser la question de la capacité nourricière des villes. Heureusement, les politiques de la ville évoluent et qu’un jardin soit pollué ou pas, il sera toujours intégré à un projet urbain.

La question de la pollution est fondamentale et  permet de poser la question de la capacité nourricière des villes.

Je serai prudent avec l’affirmation que la culture hors-sol dénature le lien de l’homme avec son jardin, parce qu’il n’est pas en contact avec sa terre, certes ; mais ce type de cultures peut aussi permettre de mieux comprendre, à une petite échelle, la croissance des plantes, leurs développements, leurs comportements et leurs adaptations à des supports de cultures variées. Ce type de cultures ne construit pas un homme hors-sol indéterminé, mais un homme déterminé à recréer de la vie, là où il vit, en voici un exemple sur un balcon. Par ailleurs, ce type de culture est plus facile d’accès et justifie que « la terre soit moins basse ». Par ailleurs, en complément des carrés de cultures surélevés on peut noter les colonnes de culture, les murs végétaux et autres supports : mini potager sur palette récupérée, etc…

De ce fait, quand on parle de culture hors-sol, cela nous renvoie souvent à la vision de l’uniformisation et du contrôle du vivant dans des boites à Soleil Vert de Richard Fleischer et d’autres logiques « d’eugénisme vert » qu’on peut trouver, hélas, dans une grande partie de l’agriculture intensive. Cela peut cependant favoriser des productions hors-sol pour éviter de produire dans des sols morts ou trop pollués à divers degrés par les biocides. Les formes d’agricultures d’après-guerre sont des formes très productives sur le plan du travail, mais dramatiques sur le plan des calories produites par hectare. Une des raisons est que l’écosystème est souvent mis de côté. Il peut cependant se régénérer au bout de quelques années et dans tout type de milieu, en faisant rentrer de la diversité vivante : en y apportant les vers du lombricomposteur et les feuilles du voisin ; en replantant des haies bocagères, en favorisant la croissance de champignons pour amener des relations symbiotiques avec les racines des plantes, etc…

Les formes d’agricultures d’après-guerre sont des formes très productives sur le plan du travail, mais dramatiques sur le plan des calories produites par hectare.

Sur le terrain, on peut mentionner une association de jardins partagés sur toits à Grenoble : Cultivons nos toits. Cette association a mené une étude en 2016 qui a remporté un franc succès. Selon cette étude, 80% des personnes interrogées étaient intéressées par la mise à disposition d’une parcelle à cultiver sur un toit.  Ce résultat était justifié par les délais d’attente souvent trop long pour disposer d’une parcelle à cultiver en pleine terre dans le cadre de jardins familiaux à partager conventionnels. Sur 300 m² de surface cultivée, l’association pense arriver à récolter 700 kg de légumes pour septembre 2018. Cette expérience en cours a encouragé l’association à trouver d’autres surfaces dans le but d’intégrer des maraîchers urbains à plein temps qui ne trouvent pas de terre. Par conséquent, en estimant à 450 hectares la surface de toits disponible dans l’agglomération de Grenoble, Lucas, le fondateur de l’association, pense qu’on pourrait nourrir annuellement 200 000 personnes en fruits et légumes locaux. Ces initiatives montrent que le modèle de micro-maraîchage sur toit est productif et permet sur le long terme de rendre des villes plus autonomes et plus résilientes (à condition d’employer les « services écosystémiques » qui permettent simplement de mieux retenir les eaux de pluie et les nutriments pour les plantes) comme nous l’a démontré Nicolas Bel, dans un potager sur toit à l’école AgroParisTech.

Quels sont ces services écosystémiques ?

– La création d’humus par des déchets : l’ajout de compost, de vers de terre et de mycélium (champignon du sol) permettant la symbiose des racines, pour créer de véritables substrats légers et retenant mieux l’eau (portance sur les toits). Ici, on parle plutôt d’amendements dont la fonction est d’enrichir durablement une terre par des apports réguliers en matières organiques diversifiées et en maintenant une fertilité naturelle, afin de permettre aux plantes de subvenir naturellement à leurs besoins en nutriments.

– L’installation de bons drainants : des briques concassées servant à drainer le fond des supports, mélangées avec de la laine de mouton pour aérer le sol.

– La limitation de l’évaporation de l’eau : en favorisant l’arrosage des plantes par capillarité (enterrer des pots en terre cuite régulièrement remplis d’eau) et en complétant par un arrosage au goutte à goutte.

– Favoriser l’exploitation des « microclimats urbains ».  Comme le relève Joseph Chauffrey, la température maximale moyenne d’un mur végétal tourne autour de 30°C, alors que la température peut atteindre 60°C sur un mur classique, et cela est encore plus fort pour les toits sans couverture végétale, où l’on peut relever jusqu’à 80°C. Ces problématiques montrent des solutions pour réguler les « îlots de chaleur » en ville. Les potagers ne peuvent par ailleurs qu’en tirer des bénéfices pour démarrer des cultures précoces par la maîtrise de ces « microclimats chauds », ce qui est bénéfique pour la culture de légumes réclamant beaucoup de chaleur comme les tomates, les aubergines, les poivrons, les concombres, mais aussi figuiers et les physalis, etc…

Mes premières expériences de « culture sur mur » au mur végétal du quai Branly (un des premiers à avoir été installé à Paris et conçu par Patrick Blanc) avaient retenu mon attention et m’avaient déçu dans le sens où ce système n’était pas « fermé », donc non régénératif. Sur l’aspect technique, on cultive à la verticale, en agrafant un feutre synthétique (polyamide résistant au perçage des racines) de 3 mm d’épaisseur sur des liteaux (contreplaqué en bois). Une fois la base posée, on y coud des « poches » que l’on garnit de terreau stérilisé (afin d’éviter le désherbage). Un système de goutte à goutte est placé en hauteur et permet la circulation d’eau par écoulement sur toute la surface du feutre synthétique, en favorisant un arrosage par capillarité. Cela est économique au premier regard, mais moins au deuxième, car l’eau n’est pas récupérée. Par ailleurs, en tant que jardinier en charge de l’entretien, je me devais d’aller régulièrement au sous-sol pour alimenter les cuves d’arrosage en y diluant un engrais chimique de type Algoflash. Ce type d’installation était bien entendu incohérent avec mes valeurs, je ne suis donc pas resté longtemps. Évidemment, cette triste expérience ne remet pas en cause les nouveaux projets de cultures hors-sol et verticales qui favorisent des circuits fermés pour devenir moins gourmands en énergie avec les systèmes aquaponiques.

Mais à n’en pas douter, si l’agriculture urbaine veut prétendre nourrir un grand nombre d’habitants dans de grandes métropoles, elle sera sans doute confrontée à de nouvelles méthodes douteuses d’un point de vue éthique dans les domaines de l’aéroponie, de l’ultroponie, de cultures in vitro. Il y a tout un enjeu à ce que l’agriculture urbaine ne soit pas déconnectée du terroir et qu’elle devienne potentiellement des «  jardins augmentés ». Celle-ci doit à long terme devenir réellement complémentaire à l’agriculture classique, surtout dans le contexte français avec tous ces mouvements de réappropriation du « rural » et des circuits courts.