Le Service jésuite des réfugiés permet l’hébergement temporaire de demandeurs d’asile au sein de familles. Enquête à Lyon, où cette solution a été adoptée par de nombreux foyers volontaires.

Mohammed(*) est heureux. Il y a encore peu, ce jeune Afghan de 23 ans affrontait le froid et la faim dans les rues de Lyon. Aujourd’hui, il est accueilli dans une famille, grâce au Jesuit Refugees Service (JRS), le Service jésuite des réfugiés. Ancien interprète de l’armée française, ce « Harki » afghan a dû fuir son pays natal en raison des talibans, qui le voient comme un traître pour sa collaboration avec l’occupant.

Comment devient-on interprète de l’armée française ? « Par hasard », répond Mohammed en souriant. Issu d’un milieu modeste de Kaboul, le jeune homme rêvait d’étudier l’informatique à l’université. « Quatre petits points ont influencé toute ma vie », fait-il, l’air songeur. C’est ce qui lui manque pour intégrer la faculté tant désirée, lors du concours d’entrée. Il choisit alors d’apprendre la langue de Molière. « Après mes études, un ami m’a conseillé de rencontrer un colonel français, qui cherchait des interprètes afghans », raconte-t-il. Mohammed se retrouve au service de la France, au commandement de Kaboul, et à la base arrière d’Abu Dhabi, aux Emirats Arabes Unis. Après le désengagement des troupes françaises d’Afghanistan, fin 2012, Mohammed devient la cible des talibans : « ils me passaient des coups de fil, m’affirmant que je serais liquidé dès qu’ils reviendraient au pouvoir ». La police afghane, noyautée par les insurgés, ne lui offre aucun secours. En 2014, son choix est fait : il quitte son pays pour la France. Pour ne pas s’attirer de représailles, ses parents l’ont officiellement renié, mais ils communiquent toujours avec lui, via Whatsapp.

A son arrivée à Paris, Mohammed est accueilli par la déception et l’abandon de ses anciens supérieurs. Il se rend alors en Suisse, pays qu’il sait francophone. Mais en raison du règlement européen de Dublin, qui impose aux demandeurs d’asile de rester dans les Etats où ils ont donné leurs empreintes digitales, il est expulsé à Lyon, où Mohammed enregistre sa demande d’asile. Il gagne ensuite l’Allemagne, qui l’expulse à nouveau dans la capitale des Gaules. Il dort dans la rue, lorsqu’une avocate, membre d’un collectif défendant les « harkis » afghans, entend parler de l’antenne lyonnaise du « JRS ».

Fondé en 1980, le Jesuit Refugees Service est actif dans de nombreux pays. Il se distingue d’autres organisations caritatives en proposant une hospitalité à domicile des demandeurs d’asile, avec le programme « Welcome ». Cette disposition a le triple objectif d’offrir un accueil proportionné et qualitatif aux réfugiés, de favoriser leur intégration et modifier la perception des habitants du cru envers eux. En bon jésuite, le pape François, par son appel aux paroisses d’Europe à héberger une famille de réfugiés, en septembre 2015, n’a fait qu’étendre le modèle de « Welcome » à l’ensemble du réseau ecclésial.

A Lyon, une des responsables « Welcome », Odile Latour, résume le fonctionnement du programme : « nous cherchons à fournir un hébergement à des personnes isolées dans une famille. Nous ne sélectionnons que des individus engagés dans une procédure de demande d’asile, et qui n’ont pas de place en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ». Dans l’attente d’une place dans ces centres, le JRS offre l’hospitalité chez des familles se portant volontaires pour accueillir un réfugié, qui leur a été proposé par un organisme. Mohammed a ainsi été signalé au Secours catholique, qui l’a envoyé vers le JRS. « Les familles sont libres de choisir la période d’accueil, et si c’est un homme ou une femme», précise Odile Latour. Le JRS dispose ainsi d’une soixantaine de familles pour la seule ville de Lyon, sans compter certaines congrégations religieuses.

Cette hospitalité n’est pas sans limites. Les organismes qui ont proposé le demandeur d’asile poursuivent les suivis administratifs le concernant. Chaque « accueilli » est suivi par un tuteur. Les conditions de l’accueil en famille, les horaires, la remise des clés, les repas, sont précisées à l’avance. Enfin, le demandeur d’asile change de foyer chaque mois : Mohammed a d’abord été hébergé par un couple de retraités, puis par une famille avec deux enfants. « Je suis très reconnaissant envers eux, ils m’ont tous aidé à m’inscrire à l’université, pour trouver ensuite un travail », s’enthousiasme-t-il. « Pour les demandeurs d’asile, être accueilli dans plusieurs familles successives leur permettent de multiplier leurs contacts, et de faciliter leur intégration. Pour les familles, c’est une occasion de découvrir qui sont concrètement ces réfugiés », explique Odile Latour. Le réseau « Welcome » n’est pas qu’un organisme d’hébergement. Des rencontres sont organisées entre des réfugiés et des jeunes étudiants français, pour bâtir des relations amicales, notamment à travers des soirées « Raconte moi ton pays », et des initiations à la culture française. Des cours de langue et de CV sont également proposés.

Grâce aux fruits de cet accueil, Mohammed est bien décidé à s’enraciner sur les rives du Rhône, et à s’en donner les moyens. « Un jour, si je fonde une famille française, j’accueillerais moi aussi des réfugiés ! » Il se prend à nouveau à rêver. Cela ne lui était pas arrivé depuis son départ de Kaboul.

(*) Le prénom a été changé.