Le-crepuscule-des-idoles-progreistesBérénice Levet est philosophe, spécialiste d’Hannah Arendt et de Simone Weil. Elle publie le « Crépuscule des idoles progressistes », aux éditions Stock, un réquisitoire sans pitié contre les totems de l’illimité. Pour Limite, elle revient sur la querelle qui a agité le milieu catholique français entre « identitaires  » et « partisans de l’ouverture ».

Les catholiques français se divisent sur la question migratoire mais plus largement sur la place de l’islam et des musulmans en France. Faut-il prôner l’ouverture, l’accueil
des migrants, le multiculturalisme au nom de la charité ? Ou bien faut-il au contraire assumer un contrôle strict des frontières, protéger le modèle assimilationniste de la République française et défendre l’héritage de la « fille ainée de l’Église ? » Conscients des défis et de l’épreuve que l’arrivée massive d’étrangers posent à une nation, à toute nation, les catholiques dits identitaires ne souscrivent pas à un devoir absolu d’hospitalité. Les catholiques dits d’ouverture leur reprochent une trahison de l’esprit et de la lettre des Évangiles.

ÉTHIQUE DE CONVICTION CONTRE ÉTHIQUE DE RESPONSABILITÉ

Cette division travaille et traverse la société française tout entière, mais ici ce n’est plus le monopole du cœur et de la conscience morale que s’arrogent les seconds, mais celui de la foi, de
la fidélité au message évangélique. D’après eux, le « bon » catholique se doit de n’agir qu’en référence au message d’amour, d’ouverture, de charité universelle des Évangiles. Ainsi trahirait-il sa foi dès lors que, au nom du « salut de sa patrie », il fixe des limites au devoir d’hospitalité. Le « bon » catholique serait ainsi un catholique qui ne connaîtrait d’autre principe d’action que l’éthique de conviction au sens de Max Weber : « le partisan de l’éthique de conviction, écrit le socio- logue, ne se sent responsable que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas », dans une indifférence parfaite quant aux conséquences de ses actes. « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l’action, il s’en remet à Dieu ».

Le Prince, et cela vaut pour tout citoyen, doit apprendre à n’être pas bon, dit Machiavel. Non qu’il doive
être mauvais, mais il ne peut agir selon l’absolu du bien. L’absolu n’est pas de ce monde. À l’instar de toutes les belles âmes, les catholiques qu’on qualifie « d’ouverture », ignorent superbement la question de la pertinence politique d’affects tels que l’amour, la compassion, la pitié. N’est-ce pas forcer le sens de la parabole du Bon Samaritain que d’en étendre la portée à la pluralité humaine ?

La controverse au sein des catholiques français engage un conflit des interprétations, interprétation
de l’articulation du particulier et de l’universel, du temporel et du spirituel, de la politique et de la religion. Peut- on, sans la flétrir et la pervertir, réduire la foi catholique à un message sirupeux d’amour et d’ouverture ? Cette approche fait du catholique un être abstrait, détaché de cet ancrage dans le monde qu’est l’appartenance nationale alors que le christianisme – et c’est sa nouveauté et sa singularité – est une religion de l’Incarnation. « L’incarnation change tout », dit magnifiquement Merleau-Ponty : le temporel et le spiri- tuel se mêlent, l’universel procède du particulier. La condition humaine est
« située » : l’homme n’est pas de partout et de nulle part. Le christianisme est une théologie de l’inquiétude, du non-repos. Le christianisme, disait Pascal, « a bien connu l’homme », il
en sait en effet la finitude. Il n’est pas cette homélie où toute tension, toute déchirure dans l’être s’efface.

Enfin, il n’est nulle part entendu que le catholique doive se détourner des affaires communes, se désintéresser de sa nation, de sa persistance dans l’être, de son avenir. Chateaubriand, Péguy, Bernanos, Simone Weil, François Mauriac n’ont pas pris prétexte de leur foi pour se soustraire à la responsabilité politique, au contraire.

« UNE SOCIÉTÉ DE MARQUE CHRÉTIENNE » (Pierre Manent)

La mise en avant de ce catholicisme d’ouverture, de tolérance et d’amour est en outre tout à fait symptomatique de notre présent et de notre impuissance à…

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Bérénice Levet
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